

« La photographie excelle à suggérer des histoires, mais a tendance à patauger quand elle essaye de les « raconter ». Elle fonctionne davantage comme un poème que comme un roman. »
Alec Soth
JUSTIN ROQUE
Né en 1971 à Cambrai, France,
Vit et travaille à Paris, France.
TEL : 06 86 75 22 77
E-MAIL : justin.roque@hotmail.fr
Mon travail photographique est multiple autant dans ma manière de travailler que dans les sujets traités. Je refuse de m’enfermer dans un style. Photographier des gens, des paysages ou des détails graphiques résulte du même enthousiasme et de la même démarche. J’aime l’idée que mes photos puissent me ressembler, qu’elles soient autant de fragments de ma personnalité. Ma pratique se nourrit de ce qui m’inspire et me stimule et relève davantage de l’instinct que de la raison ou de la stratégie.
Un des aspects de mon activité consiste à créer des interactions entre ces images, les agencer, les confronter et voir ce qu’il en ressort. À cette étape, le hasard peut bien faire les choses; des thématiques différentes peuvent se percuter, s’attirer, s’enrichir et évoquer de manière plus ou moins consciente un ailleurs. Cela induit que ces photographies n'ont pas de signification figée, qu’il y a plusieurs niveaux de lecture. C’est tout l’objet de mon travail sur «Fragments» et «Dytiques». Plus qu’un arc narratif, il s’agit de créer un langage visuel, des rythmes, des tensions, une atmosphère tout en gardant la force des images individuelles.
Le travail de mémoire constitue un autre pan de ma recherche, il est central dans la série «La Hytère», consacrée à ma grand-mère. Il se retrouve sur des thématiques récurrentes qui évoquent la fragilité des êtres et des choses.
Ma pratique de la photographie est intimement liée à celle de la marche, errer en solitaire, sans but précis, en me laissant guider par mon instinct. Être en mouvement pour figer un moment peut paraitre paradoxal mais cette manière de procéder me semble être la seule à même de créer de la surprise, de donner du rythme et d’éviter d’être descriptif.
Je souhaite que mes photos soient une invitation à imaginer d’autres connexions, qu’elles soient un point de départ et non d’arrivée, comme lorsque je me mets à marcher avec mon appareil. Je ne sais pas où je vais, mais j’y vais.
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ENTRETIEN
Septembre 2024
Est-ce que vous pouvez vous présenter brièvement ?
Après des études d’art à Penninghen / ESAG, j’ai été pendant plusieurs années directeur artistique. Parallèlement à cette activité, j’ai éprouvé assez vite le besoin d’explorer différentes formes de pratiques plastiques. Depuis 2015, je me consacre presque entièrement à la photographie.
Quelle est votre première rencontre avec la photographie ?
Mon père faisait énormément de photos. Il aimait photographier des paysages, notre famille, des amis ou des inconnus. J’ai certainement hérité de lui ce goût des sujets hétérogènes. Il y avait même un labo dans notre appartement ! et durant ma formation artistique, j’ai récupéré son Canon FTB pour faire du noir et blanc. À cette époque ces clichés servaient essentiellement à réaliser un travail de mémoire : j’ai photographié ma famille, pendant plusieurs années, presque comme un travail d’archives. Durant les années suivantes, la photo n’occupait pas une place prépondérante, ma créativité s’exprimait par d’autres formes artistiques.
C’est en 2015, à l’occasion d’un séjour dans les Pyrénées, que j’ai commencé à m’y intéresser plus sérieusement. La maison familiale et ses environs m’inspiraient toujours ce travail de mémoire. C’étaient les prémices de ma série «La Hytère» autour du personnage de ma grand-mère.
Le travail de mémoire a été pour vous une porte d’entrée dans l’univers photographique. Diriez-vous qu’il est central dans votre travail ?
Il m’intéresse depuis longtemps. Il y a 25 ans déjà, j’interviewais mes grands-parents maternels lors de longues sessions d’enregistrement vidéo dans leur salon. J’aime conserver, scanner, classer toutes les photos de famille. Toujours ce besoin de garder une trace… Je ne dirai pas qu’il occupe une place centrale dans mon travail mais il en est l’une des composantes.
Avez-vous fait une formation spécifique ? Une école de photographie ?
Non, je suis autodidacte, d’ailleurs j’ai longtemps photographié en automatique, la technique ne m’apparaissait pas comme prioritaire, c’étaient plutôt les sujets qui retenaient mon attention.
En quoi votre goût pour l’errance influence-t-il votre travail photographique ?
En effet, l’errance est au cœur de ma pratique. J’aime l’idée qu’il faille marcher, déambuler, parfois jusqu’à l’épuisement, pour soudain me retrouver face à une scène qui émerge de l’ensemble. Je suis toujours en mouvement, incapable d’attendre 2 minutes dans un endroit où quelque chose pourrait survenir. Si j’attends, j’ai l’impression de tricher, de ne plus faire totalement confiance au hasard, cette magie d’être au bon moment au bon endroit. J’aime saisir l’image au vol pendant ma déambulation. S’il y a un potentiel, mais pas le bon timing, tant pis, j’avance. Ce qui m’intéresse, c’est ce flash, cet aveuglement qui efface tout ce qu’il y a autour.
C’est important pour vous d’être confronté à l'imprévisible ?
C’est même essentiel. Sans anticipation et sans but, tout devient possible.
Raymond Depardon dit “c’est le réel qui commande". Vous composez avec des éléments que vous ne maîtrisez pas. Un peu comme un paysan qui travaille avec la météo, la nature d’un sol. Est-ce que vous diriez que la photographie rend humble ?
Vous citez un photographe pour qui j’ai un grand respect. Paradoxalement, je l’ai découvert par ses films, et notamment « Délits flagrants » qui m’a beaucoup marqué à l’époque. Oui, la photographie rend humble car on doit composer avec le réel qui est lui aussi sans cesse en mouvement. Il y a parfois une forme d’urgence à vouloir capturer ce qui nous parait précieux, mais souvent, lorsqu’il est temps de déclencher, c’est trop tard, la scène s’est transformée ou simplement évanouie. Au début, cela peut générer une forme de frustration, mais on comprend vite qu’il faut lâcher prise et composer avec tous ces paramètres.
Ce qui frappe dans vos images, c’est la place importante laissée au hasard. Quels dispositifs mettez-vous en place pour créer ces conditions ?
Je n’ai pas vraiment de dispositifs ou de stratagèmes. Je n’ai pas d’objectifs précis quant à ce que je veux photographier mais j’essaie de me rendre dans des endroits où le potentiel d’une scène intéressante pourrait survenir. Après je me laisse guider par mon instinct, j’essaye de rester neutre et ouvert à toute proposition du hasard.
Vos photos sont très hétérogènes, cependant on y perçoit une réelle unité.
Malgré cet éclectisme volontaire et assumé, il y a un fil rouge. Un ami m’avait dit en découvrant mes photographies : « Il y a une grande variété de sujets mais on sent que c’est la même personne qui les a faites. » Ce goût pour des sujets hétérogènes est présent depuis le début, et j’ai toujours refusé de m’enfermer dans un style ou une catégorie. C’est cette diversité qui m’intéresse et nourrit mon travail.
Cette unité ne tient-elle pas aussi du fait que vos photos sont très graphiques, très épurées ? La couleur joue aussi un rôle important dans cette homogénéité. Il s’en dégage une réelle cohérence malgré une grande disparité des thématiques.
C’est vrai que je porte une grande attention aux lignes de force et aux détails. J’aime les cadrages forts mais trop sophistiqués, j’ai même une certaine attirance pour les photos centrées, le sujet placé en plein milieu. Je me souviens d’une interview d’un photographe cinéaste disant : « Si un avion tombe du ciel, vous n’allez pas penser à quel cadrage faire, vous centrez l’avion ». Concernant la couleur, c’est un vrai défi, c’est un monde en soi et je crois que je n’en ferai jamais le tour. Elle me paraît totalement indispensable et en même temps elle me donne pas mal de fil à retordre. J’aime la couleur, qu’elle soit assumée, non anecdotique. J’admire Harry Gruyaert qui joue magnifiquement avec la couleur.
La mélancolie, la nature, l’humain, la solitude, l’humour, l’absurde sont autant de thématiques que l’on retrouve de manière récurrente dans votre travail. J’ai aussi remarqué une attirance particulière pour les lieux industriels, les chantiers, les lieux à l’abandon. Cette pluralité, on la retrouve dans les sujets traités mais également dans votre manière de travailler.
C’est vrai que j’aborde ma pratique photographique de multiples façons. À ce jour je peux identifier 3 approches : La première est un travail en série classique, autour d’un sujet identifié dès le départ, c’est le cas de « La Hytère » et de « La Foire du Trône ». La seconde : « Fragments » est un travail d’assemblage où cohabitent des photos hétérogènes qui, sélectionnées et agencées créent un rythme et de l’étonnement. La troisième : « Diptyques » appaire deux photographies ayant des liens plus ou moins manifestes, permettant de créer d’autres lectures. En ce qui concerne mon attrait pour les lieux en construction ou en déconstruction, les coulisses, les traces, les ruines, les friches industrielles, je peux assez facilement y voir un lien avec mon intérêt pour le travail de mémoire et la fragilité des choses.
Vous dites avoir pratiqué différents médiums artistiques, pourquoi la photographie s’est-elle finalement imposée ?
La photographie est un médium très exigeant. Lisette Model disait : « La photographie est l’art le plus facile, ce qui le rend peut-être le plus difficile ». Malgré cela, j’affectionne particulièrement ce moyen d’expression car c’est le seul où s’expriment le mieux les différents aspects de ma personnalité.
Vos photos sont-elles parfois mises en scène ?
Absolument pas, mes photographies sont clairement tirées du réel. Je ne réalise jamais de mise en scène ni ne déplace d’objets pour rendre une situation plus intéressante. Les personnes photographiées ne posent pas, à part de rares exceptions. Ce socle me permet de m’en éloigner par la suite, quand j’assemble différentes fractions du réel pour créer des formes plus lyriques comme «Fragments» ou «Diptyques».
Votre spectre est très large. Qu’est-ce qui vous pousse à prendre un cliché plutôt qu’un autre ? Ce choix résulte-t-il d’un raisonnement conscient ou plutôt d’une intuition ?
La question du choix reste assez mystérieuse. Photographier ou garder une photo plutôt qu’une autre va dépendre de multiples facteurs, tels que : notre vécu, notre éducation, notre formation, le milieu culturel dans lequel nous avons baigné, nos souvenirs, nos envies, nos peurs, notre présent… La limite de ce qui entre ou non dans ma sphère est parfois très ténue et peut en plus évoluer avec le temps. Je pense que pour ma part, ce choix est très instinctif sur le terrain puis très réfléchi en phases de sélection et d’édition. Il faut qu’il y ait un lâcher-prise. Une attitude trop rationnelle sur le terrain nous empêche d’être réceptif à des signaux différents de ceux que nous connaissons. Ces choix vont définir le style du photographe. Son intégrité, sa fidélité à ce qui l’anime profondément, feront qu’une certaine intimité entre lui et son public sera possible.
Vos photos n’ont pas de titres, pas de dates, pas de lieux.
Effectivement mes photos n’ont jamais de légendes, on ne sait ni où, ni quand elles ont été prises, elles semblent osciller dans l’espace et dans le temps. C’est important de n’être ni trop littéral ni trop narratif. J’aime l’idée d’une œuvre ouverte que chacun puisse s’approprier comme il l’entend.
L’humain, même s’il n’est pas omniprésent, tient une place importante dans votre travail.
Je n’envisage pas mon travail sans photographier mes semblables même si c’est assez difficile pour moi, voire contre nature. J’aimerais avoir le culot d’un Bruce Gilden ou d’un Martin Parr. Dans une photographie l’humain apporte une présence temporelle extrêmement forte : ne serait-ce qu’un plan sur une main donne un aspect vivant, incarné, on peut immédiatement s’identifier. La présence des gens s’impose, il y a une force d’expression qui se suffit à elle-même. Dans la série « La Foire du Trône » l’humain tient une place centrale, en revanche, je n’imaginerais pas faire une série de paysages.
Dans cette série « la Foire du Trône », l’humour est présent alors qu’il n’est pas central dans le reste de votre travail. Quelle place lui accordez-vous ?
En effet, dans mes photos, l’humour se retrouve le plus souvent dans des situations mettant en scène des gens. J’essaye toujours d’avoir une certaine bienveillance envers mes personnages, à l’égard de mes proches comme d’inconnus. Lorsqu’il m’arrive de photographier des gens dans des situations incongrues, je tiens à ce que cela reste drôle et humain, jamais sarcastique. Je me dis toujours que cette personne prise en photo pourrait être moi. La limite n’est pas toujours évidente à trouver, surtout au début où on se satisfait de photographier « des gueules ». Quand j’ai commencé, j’ai testé des choses que je ne referai plus.
Et pour terminer, quelles sont vos principales influences ?
Si je devais citer une influence majeure, je dirais le film « Paris Texas » de Wim Wenders autant pour les thématiques abordées que pour l’univers visuel. Ce film que j’ai découvert à l’adolescence m’a profondément marqué et ne m’a jamais vraiment quitté depuis.
En photo mes références viennent surtout des « classiques », comme Harry Gruyaert, Alec Soth, Raymond Depardon, Alex webb, Tom Wood, Nan Goldin, William Egglestone, Paul Graham, Bruce Davison, Stephen Shore, Martin Parr, Joel Meyerowitz, Garry Winogrand...